A propos de Marguerite Coly Keny
A 85 ans, bien que souffrant des maux qui minent le grand âge, je suis présidente d’honneur de l’association régionale des femmes pour la recherche de la paix en Casamance, Kabonketoor. J’habite Ziguinchor, a deux pas de l’aéroport.
“Je suis née à Ziguinchor en 1942. Mon papa était infirmier en pharmacie à l’hôpital Silence, ma maman ménagère. Tous les deux Diolas. Au cours de mon cursus primaire mon papa me transfère à l’école catholique des sœurs françaises du Saint Sacrement.
Quand j’ai obtenu mon brevet à 17 ans, celles-ci m’ont envoyé en France avec une trentaine de mes camarades. J’ai appris la comptabilité, la sténodactylographie et le secrétariat. Quand je suis revenue à Ziguinchor, pendant que j’enseignais la sténodactylographie pour rembourser mes études, j’étais responsable de la CVAV, guide des scouts chez les filles. Les religieuses voulaient que je prenne le voile pour être la responsable des sœurs de Ziguinchor, mais en tant qu’aînée de ma famille, ce n’était pas possible. Et surtout, je n’avais pas la vocation.
“Je militai dans les associations catholiques où je voyais comment la femme était maltraitée et pouvait perdre sa dignité… J’ai rejoint le Club Soroptimist pour aider à améliorer le bien-être des femmes. J’ai beaucoup voyagé à travers le monde pour ces groupes. A Ziguinchor, le club avait pour but l’autonomisation de la femme par l’agriculture. A un moment, j’étais la présidente nationale du club Soroptimist. J’appréciais les retrouvailles entre femmes pour aider celles qui n’avaient pas eu l’opportunité de recevoir une éducation telle que la mienne. Ma confession religieuse m’apportais le soutien spirituel et je le transmettais aux autres. Je faisais partie des groupements féminins, d’abord avec la fédération des associations féminines (FAPSE). Au temps du ministre Amadou Racine Ndiaye, nous avons produit une étude sur le statut de la femme dans le mariage, ses droits à la terre.
“ J’ai eu la chance de remporter un championnat de dactylographie national qui m’a permis d’intégrer l’administration. J’ai fait toute ma carrière à Dakar. J’ai été secrétaire particulière de Daouda Sow au ministère de la Santé, puis à l’Information et enfin aux Forces Armées. Il m’a obtenu une place à l’Union Sénégalaise de Banque quand j’ai voulu rentrer à Ziguinchor pour prendre soin de ma maman. J’y ai terminé ma carrière (pendant neuf années). J’ai aidé mon mari dans son entreprise de construction immobilière. Il est le promoteur des cités Biagui, où je réside actuellement.
“Je restais très fervente. Entre-temps, le curé de la cathédrale m’a choisie comme responsable des femmes catholiques (UDAPSE). C’est en tant que responsable de l’UDAPSE que le Ministre Robert Sagna qui dirigeait le groupe de Réflexion pour la Paix en Casamance, m’a demandé de guider des femmes du bois sacré pour la recherche de la Paix. Le bois sacré est un pilier de la société casamançaise traditionnelle. Il y en avait environ 23 à Ziguinchor. Les bois sacrés féminins ont traditionnellement comme mission de soigner ou d’accomplir des vœux rituellement. Au moment de la guerre en 1982, certaines croyaient à l’indépendance et préparaient rituellement les combattants indépendantistes pour leur donner de la force. Au départ, quand les séparatistes tenaient leurs réunions de quartier, on ne mesurait pas la violence qui serait engendrée. Après quelque temps, voyant qu’elles perdaient leurs enfants et leurs maris qui fuyaient en Guinée, elles ont voulu arranger les choses pour rechercher la paix.
“ En 1999, intégrant les femmes catholiques, celles des dahiras et celles des bois sacrés, nous avons formé une association d’environ 400 personnes, Kabonketoor, “ se pardonner “ en diola. L’association a pour mission la promotion d’une santé de proximité, la protection de l’environnement, la lutte contre la pauvreté, la protection des enfants et la promotion du leadership féminin. Cette association est l’héritière d’une association des vieilles Afinco, détentrices de connaissances ancestrales qui gardaient des fétiches près du fleuve et qui a dû se transformer à cause de la guerre. Elle était responsable de tous les 23 bois de la ville de Ziguinchor. A son appel, toute la ville sortait avec les calebasses. On faisait des prières pour appeler la pluie en cas de sécheresses ou pour protéger les récoltes des nuées de sauterelles ou autre calamité. Nous étions quatre ou cinq femmes à l’origine du groupe. L’Ong AGADA (Agir) de Martin Mané nous a financé à nos débuts. Il nous prêtait ses voitures et nous avons créé des bureaux dans chaque commune. Nous avons accompagné des femmes qui voulaient développer des groupements économiques. Avec l’Ong, on allait partout en tournée. On allait rencontrer les hommes du MFDC qui acceptaient de nous recevoir pour dialoguer, afin de faire cesser les hostilités. Nous connaissions beaucoup de dirigeants car nous allions les rencontrer en brousse jusqu’en Guinée ou dans des petits villages de Gambie, en bravant les checks-points de l’armée.
“ Pour être plus représentatives devant les autorités nous avons participé à la création de la Plateforme des Femmes pour la Paix en Casamance, qui rassemble plus de 170 groupements féminins. Nous avons fait partie de la délégation de femmes qui ont assisté aux pourparlers de Banjul. Mais les délégués des séparatistes n’étaient pas les personnes réellement représentatives qui pouvaient faire aboutir les négociations. En 2005, quand nous sommes parties à Foundiougne II pour les rencontres visant à consolider les accords de paix du 30 décembre 2004, on nous a mis dehors.” De fait, Foundiougne II qui devait se tenir en décembre 2005, n’a jamais eu lieu. Une aile dite dure du MFDC en l’occurrence le front sud, avait demandé le report des Assises de Foundiougne II à une date ultérieure pour se donner le temps de se préparer. “ Les gens ne posaient pas les vraies questions pour essayer de régler le problème. En tant que Kabonketoor, on nous invitait régulièrement pour assister aux pourparlers, mais nous ne devions pas prendre la parole. C’est seulement à la fin de la réunion qu’on nous demandait de rédiger ce que nous avions à dire.”
Elle se désole de l’état de statu quo, car les séparatistes sont maintenant divisés en plusieurs factions et l’Etat joue la politique du pourrissement. Du côté mystique, les femmes du bois sacré gardent un rôle occulte dans le conflit. Des pactes ont été scellés au début du conflit, qui restent des tabous difficiles à rompre en raison des malédictions que cela engendrerait.